LA BÊTE EST MORTE !
par Édmond François CALVO — dit CALVO

« LA BÊTE EST MORTE ! » est mon premier album de bandes dessinées qui m'a marqué pour toujours. Mes parents me l'ont offert pour mes dix ans — aujourd'hui j'en ai quatre-vingt-trois. Réédité, il y a quelques temps, je l'ai racheté.
Cet album a été réalisé clandestinement sous l'occupation de la deuxième guerre mondiale par Victor DANCETTE et Jacques ZIMMERMANN et illustré par CALVO. Cet ouvrage a été publié pour la première fois par les éditions G.P. En 1944-45. Il a été tiré pendant le troisième mois de la Libération sur les cylindres de la Néogravure. Citons aussi, Marijac — Jacques DUMAS —, dessinateur et scénariste entré dans la clandestinité, qui dessine en 1944, « Les trois mousquetaires du maquis », un groupe de maquisards qui ridiculise l'occupant allemand.

L'album comporte deux parties :
  • Première partie : Quand la bête est déchaînée
  • Deuxième partie : Quand la bête est terrassée
Cet album est un témoignage, un document exceptionnel. Il ne peut se lire qu'avec une bonne connaissance de la situation dans lequel se trouve le peuple français à la Libération. Il y a nécessité à réunir la nation française, à refonder le pays anéanti par l'occupation allemande.

Cet album était entre les mains de presque tous les enfants de ma génération qui se moquaient de la défaite de l'Allemagne et de l'Italie. C'est un ouvrage qui glorifie la Résistance. À la Libération, la France est unie, les allemands sont des loups à abattre. Cet ouvrage est le reflet de la pensée française de l'après-guerre.
Autres publications, de cette époque que nous lisions le jeudi.
Coq hardi : Les trois mousquetaires du maquis, Maquis contre SS,


 
Vaillant : Fifi, gars du maquis,





L'Intrépide : L'imbattable Dédé, Sabre au clair, Guy l'intrépide,




 
L'Astucieux : Dédé Loupiot contre les boches,

 
 

pour les filles :
La semaine de Suzette, Lisette, Fillette.


 


 
Ces publications nous ont permis de mieux comprendre ce que nous venions de vivre — nous les enfants de la guerre — nous les enfants de Paris ( Les Batignolles, Porte-de-la-Chapelle ), de la région parisienne ( Boulogne-Billancourt, Issy-les-Moulineaux ), qui avaient vécu les restrictions, les bombardements, les descentes aux abris, les arrestations individuelles et collectives (le Vel d'Hiv ), les copains avec une étoile jaune cousue sur leur vêtement. Je reste convaincu que ces lectures nous ont mis « les points sur les i » pour notre compréhension du vécu d'hier et du vivre de demain.
  • 1947 avril — septembre — novembre La C.G.T. et le P.C.F. déclenchent dans toute la France une série de grèves et manifestations,
  • 1948 octobre — novembre Une vague de grèves contre le nouveau statut des mineurs est lancée par la C.G.T. Partie des mines, elle gagne toutes les branches de l'industrie. 2000 enfants des bassins miniers sont hébergés dans les communes de la ceinture rouge à Paris.
  •  
  • 1953 août Grève générale des services publics, liée au problème des retraites. Le gouvernement réagit par des réquisitions et par l'envoi de chars aux environs de Paris.
  • Guerre de Corée — voir le film d'André Cayatte, « Avant le déluge »
  • Guerre d'Indochine
  • Guerre froide
La suite nous la vivons aujourd'hui

Nos parents, nos amis, nos voisins nous ont recommandé à être vigilants, à travailler, à rester unis et — surtout — ne pas renier notre classe sociale. Nous avons essayé de suivre leur recommandations. Nous ne sommes pas des universitaires, nous ne sortons d'aucune fac, nous ne sommes pas des théoriciens du marxisme-léninisme, notre expérience de la LUTTE DES CLASSES, nous l'avons acquise sur le terrain de la vie de tous les jours, dans la lecture et aussi au travers du cinéma. On peut donc dire : on ne nait pas communiste, on le devient.


Texte extrait de l'avant dernière page de l'album, paragraphe-image 3


La défaite indiscutable, totale, décisive infligée aux Barbares par les Bisons et les Dogs après leur débarquement, le soulèvement magnifique des Lapins de notre capitale, la libération des neuf dixième de notre sol par les bisons, la délivrance du pays des Lionceaux par les Dogs, l'avance foudroyante et irrésistible des Ours à travers la Barbarie, tous c es événements inouïs que nous attendions depuis plus d'un lustre et qui se précipitaient, en l'espace de quelques lunes, sonnaient bien le glas de la domination du Grand Loup. La Bête déchaînée — dont le règne devait durer mille ans ! — était enfin terrassée après cinq années de luttes, de souffrances et de sacrifices de tous les animaux pacifiques. On devinait son agonie proche et déjà le régime qu'elle avait instauré sentait le cadavre.
Certes, il nous restait à délivrer ces provinces si chères à nos cœurs, où nos vaillantes Cigognes, chassées par les Loups, avaient hâte de retrouver leurs nids. Il est trop tard aujourd'hui, mes petits amis, pour vous conter comment s'inscrivit au livre glorieux de notre Histoire cette belle page où tous les nôtres se retrouvèrent pour rivaliser d'audace et d'héroïsme. Je vois vos yeux se fermer car mon récit a été long, mais si vous êtes bien sages, je vous dirai un jour la suite de ce conte fantastique où la Bête déchaînée qui avait rêvé de dominer le monde, les corps et les âmes, sombra finalement dans un chaos d'Apocalypse, entraînant tous ses complices et tout son peuple mais aussi, hélas ! Des millions d'animaux innocents de toutes les tribus de la terre.
Pourquoi faut-il que déjà des voix s'élèvent pour s'apitoyer sur le sort des Loups, pour minimiser leur barbarie et qui sait, demain peut-être, pour nier leurs atrocités ? Par quelle aberration peut-on imaginer que la disparition du Grand Loup doit entraîner automatiquement la disparition de cet idéal épouvantable dont il a réussi à pétrir le cerveau de millions de disciples par toute la terre ? Attention ! Je comprends bien qu'après cinq années d'horribles souffrances, nous aspirions tous au repos, mais l'avenir m'apparaît bien sombre si nous estimions le cauchemar définitivement dissipé et si nous pensions pouvoir revenir à nos petites querelles d'antan. Car alors, en vérité je vous le dis, mes enfants, la prophétie du Grand Loup s'accomplirait et la Bête, quoique battue et terrassée, serait de de même victorieuse.

 

 

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