Émancipation et affranchissement de la classe ouvrière
Émancipation
et affranchissement de la classe ouvrière
par
l'éducation et la lecture.
Anatole France
1844 – 1924
À vous,
citoyens, à vous, travailleurs, de hausser vos esprits et vos
cœurs, et de vous rendre capables, par l’étude et la
réflexion, de préparer l’avènement de la
justice sociale et de la paix universelle.
Allocution
prononcée à la fête inaugurale de «
l’Émancipation » université populaire du XVe
arrondissement le 21 novembre 1899.
L’association que nous
inaugurons aujourd’hui est formée pour l’étude. Ce
sont des hommes qui se réunissent pour penser en commun. Vous
voulez acquérir des connaissances qui donneront à vos
idées de l’exactitude et de l’étendue et qui vous
enrichiront ainsi d’une richesse intérieure et véritable.
Vous voulez apprendre pour comprendre et retenir, au rebours de ces
fils de riches qui n’étudient que pour passer des examens et
qui, l’épreuve finie, ont hâte de débarrasser
leurs cerveaux de leur science, comme d’un meuble encombrant. Votre
désir est plus noble et plus désintéressé.
Et comme vous vous proposez de travailler à votre propre
développement, vous rechercherez ce qui est vraiment utile et
ce qui est vraiment beau.
Les connaissances utiles à
la vie ne sont pas seulement celles des métiers et des arts.
S’il est nécessaire que chacun sache son métier, il
est utile à chacun d’interroger la nature qui nous a formés
et la société dans laquelle nous vivons. Quel que soit
notre état parmi nos semblables, nous sommes avant tout des
hommes et nous avons grand intérêt à connaître
les conditions nécessaires de la vie humaine. Nous dépendons
de la terre et de la société, et c’est en recherchant
les causes de cette dépendance que nous pourrons imaginer les
moyens de la rendre plus facile et plus douce. C’est parce que les
découvertes des grandes lois physiques qui régissent
les mondes ont été lentes, tardives, longtemps
renfermées dans un petit nombre d’intelligences, qu’une
morale barbare, fondée sur une fausse interprétation
des phénomènes de la nature, a pu s’imposer à
la masse des hommes et les soumettre à des pratiques imbéciles
et cruelles.
Croyez-vous, par exemple,
citoyens, que, si les savants avaient connu plus tôt la vraie
situation du globe terrestre tournant en compagnie de quelques autres
globes, ses frères, autour d’un soleil qui nage lui-même
dans l’espace infini, peuplé d’une multitude d’autres
soleils, pères ardents et lumineux d’une multitude de
mondes, — pensez-vous que, si dans les siècles anciens un
grand nombre d’hommes avaient eu cette juste idée de
l’univers et y avaient suffisamment attaché leur pensée,
c’eût été possible de les effrayer en leur
faisant croire qu’il y a sous terre un enfer et des diables ?
C’est la science qui nous affranchit de ces vaines terreurs, que
certes vous avez rejetées loin de vous. Et ne voyez-vous pas
que de l’étude de la nature vous tirerez une foule de
conséquences morales qui rendront votre pensée plus
assurée et plus tranquille ?
La connaissance de l’être
humain n’est pas moins profitable. En suivant les transformations
de l’homme depuis l’époque où il vivait nu, armé
de flèches de pierre, dans des cavernes, jusqu’à
l’âge actuel des machines, au règne de la vapeur et de
l’électricité, vous embrasserez les grandes phases de
l’évolution de notre race.
La connaissance des progrès
accomplis vous permettra de pressentir, de solliciter les progrès
futurs. Peut-être voudrez-vous vous tenir de préférence
dans des temps voisins du nôtre et rechercher dans un passé
récent l’origine de l’état actuel de la société.
Là encore, là surtout l’étude vous sera d’un
grand profit. En recherchant comment s’est formée et accrue
la force capitaliste, vous jugerez mieux des moyens qu’il faut
employer pour la maîtriser, à l’exemple des grands
inventeurs qui n’ont asservi la nature qu’après l’avoir
patiemment observée.
Vous étudierez les faits
de bonne foi, sans parti pris ni système préconçu.
Les vrais savants— et j’en vois ici— vous diront que la science
veut garder son indépendance et sa liberté, et qu’elle
ne se soumet à aucune puissance étrangère.
Est-ce à dire que vous poursuivrez vos recherches sans
direction ni but déterminé ? Non. Vous entreprenez
une œuvre idéale mais définie, immense mais précise.
Vous vous proposez de
travailler mutuellement à développer votre être
intellectuel et moral, à vous rendre plus sûrs de
vous-mêmes, et plus conscients de vos forces, par une
connaissance plus exacte des nécessités de la vie sur
la planète, et des conditions particulières où
chacun se trouve dans la société actuelle. Votre
association est constituée pour vous solliciter les uns les
autres à penser et à réfléchir à
la place des privilégiés, qui ne s’en donnent plus la
peine, et pour vous assurer ainsi une part dans l’élaboration
d’un ordre de choses nouveau et meilleur, puisque, malgré
les coups de force, c’est la pensée qui conduit le monde,
comme la boussole dans la tempête montre encore la route aux
navires.
Votre association recherchera ce
qu’il y a de plus utile à connaître dans la science.
Elle vous découvrira ce qu’il y a de plus agréable à
considérer dans l’art. Ne vous refusez pas à mêler
dans vos études l’agréable à l’utile.
D’ailleurs, comment les séparer, si l’on a un peu de
philosophie ? Comment marquer le point où finit l’utile
et où commence l’agréable ? Une chanson, est-ce
que cela ne sert à rien ? La Marseillaise et la
Carmagnole ont renversé les armées des rois et des
empereurs. Est-ce qu’un sourire est inutile ? Est-ce donc si
peu de plaire et de charmer ?
Vous entendez parfois des
moralistes vous dire qu’il ne faut rien accorder à
l’agrément dans la vie. Ne les écoutez pas. Une
longue tradition religieuse, qui pèse encore sur nous, nous
enseigne que la privation, la souffrance et la douleur sont des biens
désirables et qu’il y a des mérites spéciaux
attachés à la privation volontaire. Quelle imposture !
C’est en disant aux peuples qu’il faut souffrir en ce monde pour
être heureux dans l’autre qu’on a obtenu d’eux une
pitoyable résignation à toutes les oppressions et à
toutes les iniquités. N’écoutons pas les prêtres
qui enseignent que la souffrance est excellente. C’est la joie qui
est bonne !
Nos instincts, nos organes, notre
nature physique et morale, tout notre être nous conseille de
chercher le bonheur sur la terre. Il est difficile de le rencontrer.
Ne le fuyons point. Ne craignons pas la joie ; et lorsqu’une
forme heureuse ou une pensée riante nous offre du plaisir, ne
la refusons pas. Votre association est de cet avis. Elle est prête
à vous offrir, avec des pensées utiles, des pensées
agréables, qui sont utiles aussi. Elle vous fera connaître
les grands poètes : Racine, Corneille, Molière,
Victor Hugo, Shakespeare. Ainsi nourris, vos esprits croîtront
en force et en beauté.
Et il est temps, citoyens, qu’on
sente votre force, et que votre volonté, plus claire et plus
belle, s’impose pour établir un peu de raison et d’équité
dans un monde qui n’obéit plus qu’aux suggestions de
l’égoïsme et de la peur. Nous avons vu ces derniers
temps la société bourgeoise et ses chefs incapables de
nous assurer la justice, je ne dis pas la justice idéale et
future, mais seulement la vieille justice boiteuse, survivante des
âges rudes. Celle-là, qui les protégeait, les
insensés, dans leur folie, ils viennent de lui porter un coup
mortel. Nous les avons vus triompher dans le mensonge, aspirer à
la plus brutale des tyrannies, souffler dans les rues la guerre
civile et la haine du genre humain.
À
vous, citoyens, à vous, travailleurs, de hausser vos esprits
et vos cœurs, et de vous rendre capables, par l’étude et la
réflexion, de préparer l’avènement de la
justice sociale et de la paix universelle.
Fernand
Pelloutier
1867
– 1901
"Instruire
pour révolter"
Pour
prétendre un jour se passer d'un gouvernement et d'un État,
la classe ouvrière se doit d'être éduquée.
Partant du constat qu'il lui manque " la science de son
malheur", Pelloutier insiste sur la nécessité de
son auto-éducation, condition sine qua non pour "
susciter en elle la révolte".
Les bourses se voient ainsi dotées de bibliothèques où les ouvrages les plus divers "rivalisent de génie" : Smith, Marx, Proudhon , Kropotkine, Zola, Bakounine. Des cours élémentaires et professionnels sont mis en place afin de lutter contre la déqualification dont est victime le travailleur. Enfin Pelloutier, à travers son "Ouvrier des deux mondes" propose aux exploités un organe militant leur permettant de lutter à armes égales contre la bourgeoisie sur le terrain spécifique de l'analyse économique.
Mêmes soucis pédagogiques dans son ouvrage " La vie ouvrière en France" qui dresse un tableau sombre de la condition de la population laborieuse. Pelloutier est notamment amené à s'interroger sur la revendication du temps de travail, la condition des femmes et la surexploitation dont elles sont victimes, la mortalité, l'alcoolisme...
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